Le grand réalisateur Pierre Granier-Deferre nous fait revivre les derniers jours de l'infortunée reine de France, Marie-Antoinette (magnifiquement interprétée par Ute Lemper) qui fut guillotinée au petit matin du 16 octobre 1793, et son corps jeté à la fosse commune...
Marie-Antoinette de Lorraine d'Autriche, celle qui était encore un an auparavant reine de France, est enfermée à la prison de la Conciergerie, dans la plus lugubre des cellules. Nulle n'a été aussi adulée, encensée, adorée. Au Palais de Versailles, six mille personnes la servaient comme une idole. Pour la République de1793, elle n'est plus que la veuve Capet, qui vit ses derniers jours. Une agonie qui est aussi un calvaire.
Marie-Antoinette peinte par Kucharski; 1792.
La reine Marie-Antoinette (1755-1793) est guillotinée le 16 octobre 1793, dix mois après son mari, Louis XVI.
Le procès du roi et sa condamnation à mort pouvaient se justifier par la volonté des républicains d'en finir avec le principe monarchique qu'il incarnait et de briser le lien affectif qui rattachait la masse des Français à la dynastie.
Le procès expéditif de la reine (38 ans) n'est quant à lui justifié par aucune raison politique mais il est provoqué par une intensification de la Terreur, sous l'effet d'attaques tant extérieures qu'intérieures contre le pouvoir parisien.
Une reine mal-aimée:
Le 1er août, Bertrand Barère, député à la Convention et porte-parole du Comité de Salut public, fait voter un décret qui met en jugement la reine déchue en même temps qu'il programme la destruction de tous les symboles de la royauté.
La reine Marie-Antoinette est le quinzième et avant-dernier enfant de l'impératrice d'Allemagne, Marie-Thérèse de Habsbourg, et de son mari, François de Lorraine. Elle a été mariée au Dauphin Louis à 14 ans, en 1770, le roi Louis XV ayant souhaité rapprocher les deux grandes puissances rivales du continent européen, l'Autriche et la France.
Mais le mariage a été d'emblée critiqué par l'opinion publique. Celle-ci, sous la monarchie comme, plus tard, sous la République, a toujours rejeté la perspective d'une alliance avec Vienne, lui préférant l'amitié du roi de Prusse.
Pendant toute la durée de son règne, Marie-Antoinette est surnommée avec dédain l'«Autrichienne» (rien à voir avec Anne d'Autriche, épouse de Louis XIII). Elle doit faire face à l'impopularité et aux ragots. Sa réputation est atteinte par des affaires auxquelles elle n'a aucune part comme le vol d'un collier de diamants auquel Alexandre Dumas a consacré un roman célèbre : Le collier de la Reine.
Mal aimée de son mari, Marie-Antoinette éveille la passion d'un beau Suédois, Axel de Fersen. Celui-ci, au début de la Révolution, fait son possible pour aider le couple royal à quitter la France. Mais la fuite échoue piteusement au relais de poste de Varennes, dans l'Argonne, le 20 juin 1791.
Infâmes accusations:
Marie-Antoinette à son procès, croquis d'audience Après la chute de la monarchie, le 10 août 1792, Marie-Antoinette est jetée en prison avec son mari, sa belle-soeur, Madame Élisabeth, et ses deux enfants, le Dauphin Louis et sa jeune soeur Marie-Thérèse, surnommée «Charlotte» et plus tard «Madame Royale».
La famille royale est enfermée dans l'enclos du Temple, une ancienne demeure des Templiers située à l'emplacement de l'actuelle mairie du 3e arrondissement de Paris.
Peu après l'exécution du roi, le 21 janvier 1793, Marie-Antoinette a la douleur d'être séparée de son fils, le petit Louis XVII (8 ans), qui est confié à un cordonnier, le citoyen Simon, pour être élevé en domestique et en sans-culotte (il mourra deux ans après dans des conditions sordides).
Prodigue et légère du temps de sa splendeur, Marie-Antoinette témoigne de courage et de fermeté devant le Tribunal révolutionnaire de Billaud-Varenne. Elle fait face avec dignité à d'infâmes accusations d'inceste sur la personne de son fils, présentées par le substitut du procureur général, le polémiste et jacobin Jacques Hébert.
Robespierre lui-même déplore la tournure du procès qui affecte l'image de la Révolution...
Après la déposition d'Hébert, le président Hermann interpelle l'accusée : «Qu'avez-vous à répondre à la déposition du témoin ?» D'une voix tremblante, elle répond : «Je n'ai aucune connaissance des faits dont parle Hébert».
Hébert reprend la parole et accuse la reine et Madame Elisabeth d'avoir traité l'enfant en roi en lui donnant en toutes occasions la préséance. Marie-Antoinette se tourne vers Hébert et demande : «L'avez-vous vu ?»
Hébert : «Je ne l'ai point vu, mais la Municipalité le certifiera», puis il coupe court à l'aparté et, changeant de sujet, il se lance sur une autre affaire.
Un juré dont on n'a pas le nom se lève et demande : «Citoyen-Président, je vous invite à vouloir bien faire observer à l'accusée qu'elle n'a pas répondu sur le fait dont a parlé le citoyen Hébert à l'égard de ce qui s'est passé entre elle et son fils». Le président répète la question et la reine se lève - «vivement émue» affirme le procès verbal - : «Si je n'ai pas répondu, c'est que la nature se refuse à une pareille inculpation faite à une mère». Elle se tourne vers la foule : «J'en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici».
« C'est à vous, ma sœur, que j'écris pour la dernière fois ; je viens d'être condamnée non pas à une mort honteuse, elle ne l'est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère. Comme lui innocente, j'espère montrer la même fermeté que lui dans ces derniers moments. Je suis calme comme on l'est quand la conscience ne reproche rien ; j'ai un profond regret d'abandonner mes pauvres enfants ; vous savez que je n'existais que pour eux, et vous, ma bonne et tendre sœur, vous qui avez par votre amitié tout sacrifié pour être avec nous, dans quelle position je vous laisse ! J'ai appris par le plaidoyer même du procès que ma fille était séparée de vous. Hélas ! la pauvre enfant, je n'ose pas lui écrire, elle ne recevrait pas ma lettre, je ne sais même pas si celle-ci vous parviendra21, recevez pour eux deux ici ma bénédiction. J'espère qu'un jour, lorsqu'ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous, et jouir en entier de vos tendres soins. »
1793
Deux témoins, les frères Humbert, rapportent qu'un courant passe dans la foule, même les tricoteuses se sentent remuées. L'audience est suspendue quelques minutes et la reine, se penchant vers son avocat Chauveau-Lagarde, lui demande à voix basse : «N'ai-je pas mis trop de dignité dans ma réponse ?»
– Madame, soyez vous-même et vous serez toujours bien ; mais pourquoi cette question ?
– C'est que j'ai entendu une femme du peuple dire à sa voisine : vois-tu comme elle est fière !
La belle-soeur de la reine, Madame Élisabeth (29 ans), est à son tour guillotinée le 10 mai 1794. Marie-Thérèse («Charlotte») a plus de chance. Elle fait l'objet d'un échange contre des prisonniers français et quitte la France pour l'Autriche le 19 décembre 1795, le jour de ses 17 ans. Elle mourra en 1851 dans son pays d'adoption.
Le 21 janvier 1815, les restes de la reine Marie-Antoinette seront transférés avec ceux de Louis XVI dans la basilique Saint-Denis, traditionnelle nécropole des rois de France.
Fabienne Manière in Hérodote.fr