L'AIGLE DE LA NEUVIÈME LÉGION
d'après le roman éponyme de Rosemary Sutcliff (1954)
Vers l'An 140, dans l'Empire romain et dans les brumes des îles britanniques au-delà du mur d'Hadrien, là où Rome se termine et commence le monde barbare, mystérieux, dangereux, maudit ...
La geste du jeune centurion Marcus Aquila pour restaurer l'honneur de son père, disparu dans des conditions mystérieuses au nord de la (Grande) Bretagne, avec les 5000 hommes de sa Légion.
Flanqué de son esclave Esca, Marcus part récupérer l'Aigle de cette Légion, que certains ont cru voir dans un temple barbare.
Mais au-delà du Mur construit sous le règne de l'Empereur Hadrien, en ces mystérieuses et effrayantes contrées du nord, que va-t-on découvrir?
L'Aigle n'est pas seulement un bout de métal; l'Aigle c'est Rome.
Le soldat romain est le fondement de Rome.
"Discipline, endurance, piété"
Retrouvant Jeremy Brock, son scénariste du Dernier roi dÉcosse, le réalisateur écossais Kevin Macdonald offre ici un "anti-péplum", où les fastes militaires de Rome laissent la place aux échauffourées de petites escortes perdues dans la lande du nord aux confins des limes de l'empire et de son influence.
Le ton voulu est celui du documentaire, ce qui oblige à un grand réalisme de détails, de décors comme de costumes. Cette ambition est atteinte, ce qui est en soi déjà une prouesse mais en plus, le spectateur suit la progression anxieuse du jeune légionnaire Marcus et d'Esca vers les inquiétants barbares septentrionaux avec l'impression de participer à une expédition commando actuelle.
Les deux jeunes acteurs principaux sont remarquables, l'athlétique Channing Tatum (Marcus) comme le frêle et nonobstant valeureux Jamie Bell (Esca). Ils nous entraînent de façon convaincante dans leur double quête: l'honneur pour Marcus, la liberté pour Esca; à travers mille ruses et bravoures, qui scellent peu à peu leur amitié...
Ayant retrouvé ses lettres de noblesse avec Gladiator, le genre du péplum connaît aujourd'hui des déclinaisons inédites (Centurions). Qui aurait pensé à Kevin Macdonald, pour porter à l'écran le roman historique de Rosemary Sutcliff (1954)? Le réalisateur s'attaque sans doute ici à l'une de ses lectures d'enfance, d'autant plus chère à ses yeux que cette histoire de Celtes et de Romains se passe dans son Écosse natale.
Kevin Macdonald pendant le tournage. L'allure primitive quasi néolithique des Celtes choisie dans le film n'est sans doute pas fidèle à la réalité historique.
Très loin, géographiquement, de la Rome de Ben Hur ou de Cléopâtre, on est aussi très loin, esthétiquement, de ces péplums canoniques. Après un passage où Marcus est en convalescence chez son oncle (Donald Sutherland), nous laissant apercevoir les charmes de la civilisation romaine, le film ne se déroule plus que dans les paysages pelés et brumeux des Highlands. Non pas dans les plaines ensoleillées où les puissantes légions romaines peuvent se déployer et manuvrer à l'aise selon une stratégie dont ils ont le secret, mais dans des reliefs inquiétants, propices aux embuscades, nous plongeant dans la froide et lourde atmosphère de confins insoumises. Nous suivons deux hommes perdus, Marcus et son esclave Esca, pataugeant dans les marécages de contrées hostiles où rôdent des ennemis farouches et invisibles autant que les âmes errantes car sans sépultures de soldats romains...
Sur la trame simple de la recherche d'un trésor symbolique, le film est d'abord la rencontre de deux hommes représentant deux cultures et deux conditions sociales opposées évoluant de l'affrontement à la reconnaissance, puis à l'amitié.
Un chemin finalement lumineux mais qui passe par l'obscurité de la barbarie quand ils affrontent, au bout du monde, le mystérieux peuple "phoque"(?).
Deux acteurs remarquables: Jamie Bell (Esca) et l'athlétique Channing Tatum (Marcus).
Rome domina la Méditerranée durant presque cinq siècles. Jamais un si vaste empire ne dura si longtemps.
Pax romana
L'Aigle des légions romaines veille sur la paix.
Aprés avoir soumis les peuples barbares, Rome les assimile afin d'unifier un empire immense: un empereur, une langue, une armée, un seul but: la paix et la prospérité. Toute civilisation ne pouvant s'épanouir qu'à lintérieur de frontières sûres, l'armée romaine fut pendant toute l'histoire de Rome, contrainte et forcée de pacifier les territoires conquis et de sécuriser les limes . Les légions romaines, outre la guerre, accomplirent une uvre immense dans la romanisation: constructions de routes, de ponts, de fortifications, mises en valeur de terres, colonisation. Le soldat romain doit savoir tout faire.
Vestiges du Mur d'Hadrien (76-138). Après des années de campagne infructueuses,Rome renonça à soumettre l'extrême nord de la Britania et préféra rester sur la défensive.
"La discipline de l'armée romaine était extrêmement sévère. La survie de Rome en dépendait. La férocité des lois, telle qu'elle existait dès les premiers temps de Rome, s'y conservait entière.
La prestation du "sacramentum" donnait à l'"imperator" droit absolu de vie et de mort sur ses soldats, et aussi le droit de les châtier corporellement. De l'un et l'autre droit, les généraux ne se faisaient pas faute d'user.
Polybe (vers 202-vers 120) nous a transmis le souvenir de scènes de la vie de la troupe en campagne: il nous raconte comment, chaque matin, un homme du dixième manipule de chacun des ordres ( hastari, principes, triarii) se présente à la tente du tribun commandant la légion et reçoit de celui-ci une tablette sur laquelle est inscrit le mot de passe. Revenu dans son unité, il transmet, en présence de témoins, la tablette au commandant du manipule suivant (le 9ème) qui, à son tour, la remet selon le même cérémonial au commandant du 8ème, et ainsi de suite jusqu'à ce que la tablette soit parvenue au chef du premier manipule, qui la rend finalement au tribun avant la tombée de la nuit... De la sorte, avant le commencement des gardes de la nuit, le chef de la légion est certain que tous les commandants d'unité connaissent le mot de passe.Si l'une des tablettes ne lui a pas été retournée à temps, il lui est facile de retrouver le coupable, qui est sévèrement puni...".
Esca, le Celte, juge les Romains cruels. Marcus juge les barbares insoumis dangereux pour la sécurité de Rome.
"...La garde de nuit était toujours cruciale et exigeante, c'est le moment de tous les dangers pour la sécurité du camp: les vélites ont pour mission de veiller sur le retranchement du camp et de fournir, à chaque porte, un poste de dix hommes. Les autres hommes sont de service à la tente du commandant et à celle des tribuns. Chaque soir, le premier homme de garde dans chaque manipule est conduit au tribun par un sous-officier et, pour chaque poste, celui-ci remet aux soldats de service une tablette (tessera) portant un signe déterminé et correspondant aux quatre veilles de la nuit. Quatre cavaliers recevaient d'autre part la mission d'effectuer quatre rondes, une par veille. Lorsque le clairon sonnait, annonçant le début d'une veille, les cavaliers commençaient la ronde, accompagnés de témoins et, abordant tout à tour chacun des hommes de garde, se faisaient remettre leur tessera: si l'une des sentinelles était endormie ou avait déserté son poste, il le faisait constater par les témoins qui l'accompagnaient et continuait la ronde. Au matin, les "tesserae" étaient apportées au tribun qui constatait immédiatement les irrégularités. Une enquête rapide permettait de retrouver le coupable qui était immédiatement traduit devant un tribunal formé des tribuns et condamné à mort".
Le camp romain et la règle militaire qui s'y applique sont des prodiges d'efficacité.
"Le supplice était appliqué au condamné avec un rituel et une rigueur qui ne laissaient aucune place à la pitié ou à une quelconque tolérance: le tribun prenait un bâton et en effleurait le condamné; sur quoi tous les soldats lassommaient à coups de bâton et de pierres. Si miraculeusement le condamné ne mourait pas, il était jeté hors du camp et abandonné. Le supplice de la bastonnade était aussi le châtiment des voleurs, des soldats convaincus de faux témoignages, des déserteurs et même celui que l'on appliquait dans des cas d'insubordination caractérisée. Lorsqu'une unité entière était coupable, par exemple si un manipule avait abandonné son poste au combat, les soldats qui en faisaient partie étaient "décimés": l'unité coupable était rassemblée à part devant la légion et l'on tirait au sort le nom d'un homme sur dix. Ceux dont le nom était sorti étaient exécutés; les autres recevaient des rations d'orge au lieu de blé et devaient camper hors du retranchement jusqu'à ce qu'ils fussent rachetés par quelque action d'éclat".
in La Civilisation romaine de Pierre Grimal; éditions Les grandes civilisations Arthaud, Paris 1984.
Gladiateur au repos,1789, baron Françoix-Xavier Fabre (1766-1837).
La louve nourrissant Remus & Romulus. Selon la légende une louve avait nourri le fondateur de Rome.
La fondation de Rome est environnée de légendes. Les historiens racontent que Romulus et son frère Rémus, exposés sur les bords du Tibre peu de jours après leur naissance, furent miraculeusement allaités par une louve qui sortit des bois. Elle était envoyée par le dieu Mars, qui était le père des Jumeaux, et les Romains, jusqu'à la fin de leur histoire, aimeront se dire "les fils de la louve". Recueillis par un berger, le bon Faustilus -dont le nom est à lui seul un augure favorable puisqu'il est issu de favere- Romulus et Rémus furent élevés par la femme de celui-ci, Acca Larentia. Des noms de divinités se dissimulent derrière ceux de Faustilus et de sa femme; le premier est très voisin de celui de Faunus, le dieu pastoral qui hantait les bois du Latium, le second rappelle celui des dieux lares romains (protecteurs du foyer), et il existait à Rome même un culte à une certaine Mère des Lares qui pourrait bien avoir été, en définitive, que l'excellente mère nourricière des Jumeaux - à moins, ce qui est plus probable, que la légende n'ait emprunté des noms divins pour donner une identité à ses héros.
Pierre & Gilles, le pâtre.
Pierre & Gilles; Hermès, le dieu messager.
On sait comment devenus hommes, les jumeaux se firent reconnaître par leur grand-père qu'ils rétablirent sur son trône, et partirent fonder une ville sur le site qui leur avait été si favorable. Romulus choisit, pour consulter les dieux, le Palatin, berceau de son enfance. Rémus, cependant, s'installait de l'autre côté de la vallée du Grand Cirque, sur l'Aventin. Les dieux favorisèrent Romulus en lui envoyant le présage extraordinaire d'un vol de douze vautours. Rémus, lui, dans le même temps, n'en voyait que six. A Romulus revenait donc la gloire de fonder la Ville, ce qu'il fit aussitôt, traçant autour du palatin un sillon avec une charrue; la terre rejetée symbolisait le mur, le sillon lui-même le fossé, et à l'emplacement des portes la charrue, soulevée, ménageait un passage.
A cette histoire, assurément, tous les Romains ne croyaient pas, mais, très superstitieux, ils l'acceptaient cependant; ils savaient que leur Ville n'était pas seulement un ensemble de maisons et de temples, mais un espace de sol consacré (ce qu'exprime dans des cas divers les mots de pomerium et de templum), un endroit doté de privilèges religieux, où la puissance divine était particulièrement présente et sensible.
Mais, tout ceci était trop beau... Le récit affirmait de façon dramatique la consécration de la Ville: Rémus, moqueur, avait raillé le "mur" de terre et son fossé dérisoire; d'un bond, il les avait franchis, signant par cet acte irréfléchi, arrogant, imprudent et funeste, son arrêt de mort. Romulus se jeta sur lui et l'immola en disant: "Ainsi périsse quiconque, à l'avenir, franchira mes murailles!".
Svend Radsack; Caïn tuant son frère Abel, 1910. La plupart des récits sacrés, fondateurs de civilisations, racontent le drame d'un meurtre fratricide.
Geste ambigu, criminel, abominable, propre à troubler l'harmonie cosmique et provoquer la colère des Dieux puisqu'il était le
meurtre d'un frère et mettait sur le premier roi la souillure d'un fratricide, mais geste nécessaire, puisqu'il déterminait mystiquement le futur et assurait, semble-t-il à jamais,
l'inviolabilité de la Ville. De ce sacrifice sanglant, éminemment païen, le premier qui ait été offert à la divinité de Rome, le peuple conservera toujours un souvenir épouvanté.
Plus de sept cents ans après la Fondation, Horace le considèrera encore comme une sorte de faute originelle dont les conséquences devaient inéluctablement provoquer la perte de la Cité en
poussant ses fils à se massacrer entre eux.
A chaque moment critique de son histoire, Rome s'interrogera avec angoisse, croyant sentir peser sur elle une malédiction. Pas plus qu'à sa naissance elle n'était en paix avec les hommes, elle ne l'était avec les dieux.
Cette anxiété religieuse pèsera sur son destin...
Il est trop aisé d'opposer cette angoisse existentielle à la bonne conscience apparente des Cités grecques. Athènes aussi avait connu des crimes: à l'origine du pouvoir de Yhésée, il y avait le suicide d'Egée. La préhistoire mythique de la Grèce est aussi pleine de crimes que la légende romaine, mais il semble que les Grecs aient considéré que le fonctionnement normal des institutions religieuses suffisait à effacer les pires souillures... Oreste est toujours acquitté par l'Aéropage, sous la présidence des dieux. Et aprés tout, la souillure qu'Oedipe inflige à Thèbes est effacée par le bannissement du criminel; le sang qui coulera plus tard, en expiation, ne sera jamais que celui des Labdacides.
Rome, au contraire, se sent désespérément solidaire du sang de Rémus.
Derrière les boucliers de ses légions, Rome est tremblante. La légende des premiers temps de Rome est ainsi pleine de "signes" que s'emploie à déchiffrer les historiens d'aujourd'hui. Quelle que soit l'origine des différentes légendes particulières, ces récits reflètent autant de convictions profondes, d'attitudes déterminantes pour la pensée romaine.
C'est pourquoi quiconque essaie de surprendre le secret de la romanité doit en tenir compte, puisqu'ils sont autant d'états de conscience toujours présents à l'âme collective de Rome.
1942
La Légion aujourd'hui: l'esprit de Rome est toujours vivant.
Légionnaires en situation de prisonniers. Certaines âmes trop sensibles disent: "brimades humiliantes". Dans le cas où il serait capturé par l'ennemi, le légionnaire doit tenir bon et supporter les tortures psychologiques; l'esprit doit être aussi robuste que le corps.
Toujours prêts à embarquer...
Shanning Tatum lui aussi prêt à embarquer, mais la destination n'est certainement pas la même...
Légion espagnole
La chemise volontairement ouverte est un défi lancé aux balles de l'ennemi.