Dans le sud de la France, Marc, marié
et père de famille, mène une vie confortable d'agent immobilier. Au hasard d'une vente, il rencontre une femme au charme envoûtant dont le visage lui est familier. Il pense reconnaître Cathy,
l'amour de ses 12 ans dans une Algérie violente, à la fin de la guerre d'indépendance. Après une nuit d'amour, la jeune femme disparaît.
Au fil des jours un doute s'empare de Marc : qui est vraiment celle qui prétend s'appeler Cathy ? Une enquête commence.
Marc (formidable et touchant Jean Dujardin) est agent
immobilier dans le sud de la France. Marié, père de famille, il travaille dans l'agence de son beau-père et pense mener une existence agréable, sans nuages.
Au hasard d'une vente, il rencontre une femme au charme envoûtant dont le visage fait ressurgir tout un pan de son
passé. En elle, il croit reconnaître Cathy, le grand amour de ses 12 ans, là-bas, en Algérie.
Refoulés au plus profond de lui, ses souvenirs refont surface...
Des frôlements de mains, des rires complices et des balades sur le balcon d'un immeuble d'Oran donnant sur la mer.
La violence de la fin de la guerre d'indépendance avait enterré ces instants précieux.
Déstabilisé, amoureux fou dont la vie bascule, Marc tente d'y voir plus clair, d'autant qu'après une nuit d'amour
avec la belle inconnue, celle-ci disparaît. Quel est ce mystère ? Cathy est-elle celle qu'elle prétend être ? Les proches de Marc affirment que la petite fille est morte lors d'une
explosion.
En se servant de la trame classique du thriller à la Hitchcock (on pense notamment à Vertigo pour la recherche
obsessionnelle de la blonde/brune Kim Novak), Nicole Garcia orchestre un somptueux suspense romanesque, autour d'une vamp mystérieuse emportée par les événements de la guerre d'Algérie.
Finalement, le balcon sur la mer est celui qui permet à Marc d'observer son passé, le ressac d'une mémoire
douloureuse et d'un amour enfoui sous l'écume des jours.
Olivier Lacroix, in
Figaroscope du 14/12/2010.
Défragmentation de la mémoire: c'est plus douloureux que sur votre PC...
Marc Palestro a la réputation d'être
un gendre idéal. Son beau-père l'a enrôlé dans son agence immobilière, il travaille avec intégrité, les affaires marchent. Apparemment, il est heureux. Trompeuse quiétude. Passif, il est pensif.
"C'est la ouate", chante Caroline Loeb à la radio. Marc Palestro a du coton dans la tête, jusqu'au jour où l'apparition d'une acheteuse, lors de la vente d'une maison, le bouleverse. Il a reconnu
en elle l'amour de ses 12 ans, la jeune Cathy, voisine dont il fut arraché à la fin de la guerre d'indépendance algérienne.
Nicole Garcia est adepte des intrigues à plusieurs fils. Celles d'Un balcon sur la mer mixent des lieux liés à des souvenirs,
convoquent des hommes mélancoliques, font surgir des petites filles détentrices de secrets. Oran, le rapatrié d'Algérie d'origine espagnole, la petite Marie-Jeanne qui s'est mise à faire du
théâtre... autant de flash-backs qui viennent troubler la conscience du personnage principal, mais qui s'affichent aussi comme indices intimes d'une réalisatrice n'ayant encore jamais évoqué son
enfance de l'autre côté de la Méditerranée et les blessures engrangées là-bas.
Ce film est un thriller sentimental, l'histoire d'un homme arraché à ses deux passions de jeunesse : un pays (l'Algérie), une
gamine (Cathy). Hanté par l'atmosphère hitchcockienne qui planait déjà sur Place Vendôme (1998), le film entrelace le maelström d'émotions et la ténébreuse enquête. Par quoi ce Palestro perdu
(magistral Jean Dujardin) et cette énigmatique Marie-Jeanne sont-ils enchaînés ? Nous ne le dirons pas. Mais la réussite du film tient en partie à ce dosage subtil de réminiscences et de trafics
de sentiments, sur fond de magouilles, offenses, revanche, d'apparition de femme fatale.
Du Fils préféré (1994) à L'Adversaire (2001), on voit bien la cohérence de cette filmographie vouée à l'exhumation de fêlures,
d'hommes fragiles dont le traumatisme ressurgit.
Nicole Garcia orchestre de tragiques délivrances.
Le goût de l'enfance, infini, reste brûlant chez lui, comme chez la jeune femme qui n'est ni tout à fait Cathy ni tout à fait une
autre. Les hommes ont le dos courbé sous le poids de deuils informulés chez Garcia, les femmes sont en perdition, otages de fraudes financières, prête-noms, appâtées par l'argent facile (Nathalie
Baye dans Un week-end sur deux, 1990, Catherine Deneuve dans Place Vendôme). Les premiers restent captifs de leur fantasme, les secondes trouvent leur salut dans l'imaginaire.
Jean-Luc Douin, in Le Monde; 14/12/2010.
Nicole Garcia signe un film sur la quête d'identité et la
quête amoureuse.
En effet, la recherche de soi et de l'autre y sont concomitantes. Marie-Jeanne renvoie à Marc des images de son
passé et veut en même temps être prise pour ce qu'elle est réellement. Elle s'oublie dans le mensonge, malgré elle. C'est ainsi que la réalisatrice choisit à la fois de les réunir et de les
séparer aussitôt: "C’est peut-être la première fois que je me laisse entraîner à la tentation du couple, même si l’homme et la femme ne sont pas dans le même plan durant plus de la moitié du film
!
Comme si je m’étais, pour les filmer, inconsciemment fixée cette condition : les séparer à tout prix…",
confie-t-elle.
Retour dans le passé...
Un balcon sur la mer est le premier film de Nicole Garcia à
se passer, en partie, à Oran, sa ville natale. Le choix s'est donc porté assez vite sur l'Algérie, d'autant plus que le scénariste est aussi né là-bas.
La réalisatrice était pourtant réticente, avouant avoir développé un "rapport intranquille" à son enfance. Tourner
dans le pays n'a donc pas été si facile. C'est cette résistance qu'elle a su mettre à profit dans le film, chaque personnage dévoilant son rapport ambigu à l'enfance et à la naissance:
"Marc Palestro a refoulé son enfance, pour des raisons personnelles et historiques. Il a oublié la fille du
droguiste comme il a oublié le lynchage d’un algérien, événement que lui rappelle Marie-Jeanne au début du film." rapporte la réalisatrice.
Foulant le pavé de la ville algérienne, Jean Dujardin avoue s'être laissé emporter par l'émotion:
"J’ai éprouvé, d’un coup, le retour de l’exil, et les larmes sont venues naturellement. Ce n’était plus seulement
l’enfance de Marc, de Nicole, c’était aussi la mienne, celle de tout le monde, quand on la sait à jamais perdue."
Les blessures de l'Algérie comme toile de fond:
Nicole Garcia explique qu'à l'origine du film, il y a une mésentente entre un homme et une femme. Marc n'a pas
voulu voir Marie-Jeanne dans son enfance, elle est restée tapie dans l'ombre et voilà qu'elle réapparaît avec toute sa susceptibilité.
L'histoire politique vient corroborer la difficulté pour cet homme d'assumer son identité. La Guerre d'Algérie est
donc présente mais en arrière plan. Les flashbacks permettent de re-situer l'intrigue dans ce contexte troublé, la réalisatrice explique:
"L’histoire étant vécue à hauteur d’enfants, il n’y avait pas de place pour le commentaire directement politique.
L’action des factions, la guerre civile, les terroristes devaient être montrés sans analyse, dans un quotidien immédiat."
Évidemment connu pour ses comédies et ses rôles
humoristiques, Jean Dujardin s'oriente vers un autre registre du Convoyeur (2003) au Bruit des glaçons (Bertrand Blier), en passant par Contre-enquête de Franck Mancuso
(2007) dans lequel il interprète un policier et un père à la dérive après l'assassinat de sa fille.
Le choix de Nicole Garcia s'est porté sur lui car elle sentait que sa personnalité sur le fil était à
exploiter:
"Je le connaissais comme tout le monde le connaît, comme un acteur de comédie, mais j’ai senti qu’il y avait en
lui des zones d’ombre et une mélancolie qu’il était prêt à offrir à un personnage."
La femme dans les films de Nicole Garcia
Selon Jacques Fieschi, le scénariste d'Un balcon sur la
mer:
"Dans les films de Nicole Garcia, apparaît toujours une figure de femme bousculée, en perdition (...) Nicole n’a
pas de discours à proprement parler féministe, mais il y a ce désir que les femmes arrivent à vaincre les humiliations que leur ont fait subir les hommes. Les films sont là pour les
délivrer."
Pourtant, dans ce film, les femmes en prennent aussi pour leur grade: Marie-Jeanne manipule Marc en se faisant
passer pour Cathy, et l'entraîne ainsi dans ses troubles.
Marc Palestro par Jean Dujardin
Le rôle de Marc a été une véritable révélation pour Jean
Dujardin. Outre le fait qu'il ait dû composer avec un personnage faussement banal, il estime avoir appris beaucoup de choses sur la situation des français d'Algérie:
"A la fin du film, je me sentais l’un des leurs. C’est la force de l’acteur, non ? Ils m’ont aidé à mieux
comprendre ce garçon à qui ses parents ont dit à 13 ans qu’il allait devoir tout quitter, et recommencer une vie bien réglée, ailleurs.".
La présence chaleureuse et empathique de Nicole Garcia n'y a pas été pour rien:
"Elle cherche la fragilité nichée au fond de l’être humain. Ce qui m’a intrigué dans notre travail, c’est que
Nicole n’oublie jamais sur un plateau l’actrice qu’elle est (...) Elle vous accompagne d’une manière qui fait viscéralement corps avec le film", confie l'acteur.
Marie-Jeanne par Marie-Josée
Métamorphosée en blonde platine, Marie-Josée Croze change
de registre dans ce film en interprétant une femme mystérieuse et manipulatrice, un peu malgré elle, selon l'actrice:
"Marie-Jeanne a un problème avec l’estime d’elle-même (...) L’amour propre est quelque chose qui se construit
depuis l’enfance, c’est un long travail. Et celui qui n’en a pas, a des comportements autodestructeurs".
Elles ont créé, à quatre mains, avec Nicole Garcia, la créature Cathy/Marie-Jeanne:
"On a créé ensemble ce blond platine, ces tailleurs ajustés, cette démarche ralentie, ce déguisement de femme de
paille.".
Pour autant l'actrice considère qu'il serait faux de parler d'une femme aux visages multiples alors qu'elle est
seulement perdue et se pare d'apparences au moment où elle rencontre Marc.
Finalement Marie-Jeanne se rapproche d'une actrice se jouant d'elle-même.
L'Algérie moderne est une création de la France:
Alger, place d'Isly au début des
années 50.
Oran, 1959: dans trois ans, ce petit bout de paradis sur la terre d'Algérie, bâti en à peine cinquante
années, se transformera en enfer...
Dans les flammes, les exactions et les sangs mêlés s’achève l’aventure impériale de la France
outre-mer.
Par Benjamin Stora [Le Monde, 27 août 1992]
Évoquant Oran dans le
préambule de la Peste, Albert Camus écrivait :
" Une manière commode de faire la connaissance d’une ville est de chercher comment on y travaille, comment on
y aime et comment on y meurt. Dans notre petite ville (est-ce l’effet du climat ?), tout cela se fait ensemble, du même air frénétique et absent. Mais, ce qui est original, c’est la difficulté
qu’on peut y trouver à mourir ! "
Oran, lundi 25 juin 1962, les réservoirs en feu de la BP (©J.P. Biot/Paris-Match)
Fin juin 1962 : Oran est devenue cette
ville de la peste que Camus décrivait. Les ordures s’amoncellent au milieu de la rue. Les téléphones sont coupés. Les magasins éventrés vomissent leurs débris sur le trottoir par-dessus les chats
crevés. Les petites rues en pente, vidées de leurs habitants, dégagent une puanteur sans nom.
Le lundi 25 juin, à 17 h 45, c’est l’apocalypse dans le ciel de la ville. Les réservoirs à mazout de la British
Petroleum ont été plastiqués, et 50 millions de litres de carburants brûlent. Vision dantesque de flammes qui montent souvent à plus de 150 mètres. Dans certains quartiers, il fait presque nuit,
et cette " éclipse " dure deux jours. Des pompiers, aidés de fusiliers marins de Mers-el-Kébir, tentent de maîtriser l’incendie, tandis que les derniers desperados de l’OAS (Organisation de
l’armée secrète) essaient, en tirant à la mitrailleuse sur les réservoirs voisins, d’étendre le désastre.
Pourquoi est-ce à Oran que les derniers mois de l’Algérie française et les premiers jours de l’Algérie
indépendante ont été les plus meurtriers, les plus terribles ?
Oran est la première
ville d’Algérie où la population européenne dépasse en nombre la population musulmane.
En 1961, les statistiques donnent, en gros, 400 000 habitants, dont 220 000 Européens et 180 000 musulmans. Cette
proportion explique la particulière acuité du conflit dans cette deuxième cité de l’Algérie. Tout au long d’une histoire coloniale commencée en 1830, les mariages avaient brassé les descendants
des communautés originelles métropolitaines, ibériques et italiennes ; venaient s’y ajouter quelques gouttes de sang grec ou maltais.
Mais la plupart des Européens étaient des descendants d’émigrés espagnols qui, au milieu du siècle dernier,
avaient fui la misère de leur pays. La proximité de l’Espagne facilite cette arrivée massive (par temps clair, du haut de la rade de Mers-el-Kébir, il est possible d’apercevoir à l’horizon le
sommet de la cordillère du cap de Gata). En 1931, on estime la population oranaise originaire d’Espagne à 65 % du total des Européens, 41 % étant déjà naturalisés. Cette influence espagnole se
voit par le sens ibérique de l’hospitalité et par une religiosité puissante. Depuis 1849, l’église Notre-Dame-de-Santa-Cruz est la patronne qui veille sur la ville, le port, le rivage. Le
catholicisme devient un puissant instrument de référence identitaire, face à des Algériens musulmans de plus en plus minoritaires et marginalisés.
Les juifs d’Oran, naturalisés par le décret Crémieux de 1870 et victimes de violentes campagnes antisémites dans
les années 1890, se groupent sur le plateau ouest de Karguentah. Et les " Arabes ", comme on appelait à l’époque les Algériens musulmans, sont au sud de ce même plateau, dans ce qui est resté
longtemps le " village nègre ", avant de devenir la " ville nouvelle ".
Comme la guerre de conquête coloniale s'effectue toujours par des armées régulières mais en marge des Lois
de la Guerre par la pratique de méthodes terroristes, en toute logique,la guerre de décolonisation et d'indépendance applique les dures règles du terrorisme et de la responsabilité
collective...
Dans cette guerre
d’Algérie qui dure déjà depuis sept ans, il semble impensable à la majorité de la population européenne de quitter Oran, de concevoir une indépendance sous l’égide du FLN.
Certains hommes politiques français, au moment des négociations avec les indépendantistes algériens en 1961,
avaient même envisagé la partition, avec Oran pour capitale, d’une nouvelle Algérie française... Pour les commandos de l’Organisation Armée Secrète(OAS), dirigés dans l’Oranie par le général Jouhaud
(1905-1995) et par son adjoint le commandant Camelin, cette idée n’existe plus au début de l’année 1962. Le moment est à la radicalité extrême.
Avec retard sur Alger, mais avec les mêmes moyens, l’OAS d’Oran se lance aussi dans le terrorisme, les coups de
main spectaculaires, les hold-up dans des banques ou dans des entreprises pour se procurer des fonds, les expéditions sanglantes contre des Algériens musulmans. Ainsi, le 13 janvier 1962, six
hommes de l’OAS, déguisés en gendarmes, se présentent à la prison d’Oran, où ils se font remettre trois militants du FLN condamnés à mort. Ils les exécutent quelques instants après. Le lendemain,
quatre autres prisonniers du FLN s’évadent. L’OAS leur donne la chasse, les retrouve, les exécute.
L’organisation activiste développe des émissions de radio pirate, publie un faux numéro de l’Echo d’Oran, le 6
février, tiré à vingt mille exemplaires, condamnant la "politique d’abandon de de Gaulle ".
Le 19 mars 1962, à midi, au moment où le général Ailleret, commandant en chef en Algérie, ordonne l’arrêt des
combats, une émission pirate de l’OAS fait entendre la voix de Raoul Salan (1899-1984), qui, avec véhémence, condamne le
cessez-le-feu et les accords d’Evian, puis donne l’ordre de " harcèlement contre les forces ennemies ".
Le 20 mars, un détachement de l’OAS tire au mortier sur la casbah d’Alger : 24 morts et 60 blessés, tous
Algériens. Le même jour, fusillades à Oran : 10 morts et 16 blessés. Le 26 mars, l’armée, débordée, tire sur une foule d’Européens à Alger. On relève 46 morts et 200 blessés rue d’Isly. Pendant
qu’Alger connaît ces heures sanglantes, Oran est frappée de stupeur : le général Jouhaud et son adjoint Camelin sont arrêtés.
Le 28 mars, Abderrahmane Farès
(1911-1991), président de l’"exécutif provisoire" mis en place après Evian, s’installe avec son équipe à la cité administrative de Rocher-Noir. Le 8 avril, un vote massif au référendum
organisé par l’Elysée (90,7 % des suffrages exprimés, 24,4 % des électeurs n’ont pas participé au vote) donne au président de la République la capacité juridique " d’établir des accords et de
prendre des mesures au sujet de l’Algérie, sur la base des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 ".
Loin d’apaiser, les résultats de ce référendum poussent le commandement de l’OAS dans une folle escalade : la
politique de la terre brûlée.
Le 24 avril au matin, à Oran, l’OAS s’attaque à une clinique, celle du docteur Jean-Marie Larribère, militant
communiste très connu dans la ville. Deux femmes, dont l’une venait d’accoucher, échappent à la destruction complète de l’immeuble. Les plastiquages, les mitraillages, prennent une cadence
infernale. Des gendarmes mobiles sont agressés, des blindés ripostent au canon de 20 mm et 37 mm. Les coups partent au hasard, contre des immeubles habités par des Européens. Des avions se
mettent de la partie, avec leurs mitrailleuses lourdes.
Le 23 avril 1962, le conseil de l’ordre des avocats d’Oran publie un communiqué dénonçant " ces attaques contre
une population civile qui seraient, en temps de guerre, contraires à la Convention de La Haye [...]. En temps de paix, et entre Français, elles dépassent l’imagination. "
Attentat OAS; Alger, 26 avril 62.
En dépit des consignes
de l’OAS, qui interdit le départ des Européens (avec surveillance des agences de voyages), l’exode commence vers la métropole.
Le 15 avril, le Chanzy débarque un premier contingent de "rapatriés" venant d’Oran. Les attentats de l’OAS ne
cessent pas. On pourrait même dire que le terrorisme croît en violence : assassinats individuels de musulmans, chasses à l’homme, plastiquages, tirs de mortier.
A la fin du mois d’avril, une voiture piégée explose dans un marché, très fréquenté par les Algériens en ce moment
de ramadan. C’est une première du genre (le 2 mai, le même procédé _ une voiture piégée qui explose dans le port d’Alger _ fait 62 morts et 110 blessés, tous musulmans). En mai, à Oran,
quotidiennement, de 10 à 50 Algériens sont abattus par l’OAS.
La férocité est telle que ceux qui habitent encore des quartiers européens les quittent en hâte. Chacun se
barricade, se protège comme il peut. Certains musulmans quittent Oran pour rejoindre leurs familles dans les villages ou les villes n’ayant pas une forte population européenne. D’autres
s’organisent en une sorte d’autonomie dans l’enclave musulmane. Des commissaires politiques du FLN font surface, une vie s’organise (approvisionnement, ramassage des ordures...). Mais, dans ce
cycle infernal qui continue, avec les rafales d’armes automatiques résonnant çà et là, jour et nuit, que va-t-il advenir de la population européenne ? Surtout quand les troupes de l’ALN pénétreront dans la ville après la proclamation de l’indépendance ?
Les dirigeants du FLN ont de plus en plus de mal à retenir une population musulmane exaspérée, et qui veut
riposter. Les responsables de l’OAS encore en liberté savent pourtant que la partie est perdue. L’armée française n’a pas basculé en leur faveur, le moral est au plus bas après les arrestations
de Salan, Jouhaud, Degueldre et l’échec d’un maquis de l’OAS dans l’Ouarsenis. Aucun espoir, non plus, à attendre de l’étranger. Et puis il y a cet exode, cette hémorragie qui se poursuit.
Chaque jour, à partir de fin mai, ceux que l’on appellera plus tard les " pieds-noirs " sont de 8 000 à 10 000 à
quitter l’Algérie, emportant hâtivement avec eux ce qu’ils ont de plus précieux.
Les voilà les damnés de la terre d'Algérie qu'ils ont embellie, fait fructifier comme un
jardin d'Eden.
Abandonnés et trahis par un gouvernement qui avait le devoir de les protéger,
accusés de tous les maux, de tous les crimes, ils sont devenus en quelques semaines des parias.
Ils fuient les massacres, les enlèvements, les tortures, les viols. Ils ont tout
vendu à la hâte, à vil prix,à des familles musulmanes qui "récupèrent" villas, appartements,meubles, voitures,bijoux, postes radio et télévisions.
Le 7 juin 1962 est un
des points culminants de la politique de la terre brûlée. Les commandos Delta de l’OAS incendient la bibliothèque d’Alger et livrent aux flammes ses soixante mille volumes. A Oran, c’est la
mairie, la bibliothèque municipale et quatre écoles qui sont détruites à l’explosif. Plus que jamais, la ville, où règne une anarchie totale, est coupée en deux : plus un Algérien ne circule dans
la ville européenne. La décision de Paris d’ouvrir la frontière aux combattants de l’ALN stationnés au Maroc provoque une panique supplémentaire chez les Européens. Dans un fantastique désordre,
l’Algérie se vide de ses cadres, de ses techniciens. Inquiet de la paralysie générale qui menace le pays, Abderrahmane Farès, par l’intermédiaire de Jacques Chevallier, ancien député et maire
d’Alger, décide de négocier avec l’OAS.
L’accord signé le 18 juin par Jean-Jacques Susini, au nom de l’OAS, avec le FLN, est rejeté à Oran. Les 25 et 26
juin, dans la ville recouverte par la fumée des incendies, les commandos de l’OAS attaquent et dévalisent six banques. En fait, il s’agit de préparer la fuite, après l’annonce du colonel Dufour,
ancien chef du 1 REP et responsable de l’organisation pour l’Oranie, de déposer les armes. Sur des chalutiers lourdement chargés d’armes (et d’argent), les derniers commandos de l’OAS prennent le
chemin de l’exil. Pendant ce temps, le départ des Européens d’Oran a pris l’ampleur d’une marée humaine. Des milliers de personnes, désemparées, hébétées, attendent le bateau dans le plus grand
dénuement. Il faut fuir au plus vite ce pays, auquel ils resteront attachés de toutes leurs fibres, transformé en enfer.
Le 1er juillet 1962,
la population algérienne vote en masse l’indépendance de l’Algérie. Le " oui " obtient 91,23 % par rapport aux inscrits, et 99,72 % par rapport aux votants.
Le 3 juillet, jour où l’indépendance est officiellement proclamée, sept katibas de l’ALN défilent à Oran,
boulevard Herriot, devant une foule énorme. Les Algériens déploient leur drapeau d’une Algérie nouvelle, vert et blanc, frappé d’un croissant rouge, manifestent leur joie avec des cortèges
scandés par les youyous des femmes, des chants, des danses. Le capitaine Bakhti, chef de la zone autonome d’Oran, s’adresse aux Européens dans une allocution en français : " Vous pourrez vivre
avec nous autant que vous voudrez et avec toutes les garanties accordées par le GPRA. L’ALN est présente à Oran. Il n’est pas question d’égorgements. " Est-ce, avec la fin officielle de la
guerre, l’arrêt, enfin, des flots de sang ? Le 5 juillet 1962, c’est le drame. La foule des quartiers musulmans envahit la ville européenne, vers 11 heures du matin. Des coups de feu éclatent. On
ignore les causes de la fusillade. Pour les reporters de Paris-Match présents sur place, " on parle, bien sûr, d’une provocation OAS, mais cela semble peu vraisemblable. Il n’y a plus de
commandos, ou presque, parmi des Européens qui sont demeurés à Oran après le 1 juillet, que d’ailleurs on considérait là au moins comme une date aussi fatidique que l’an 40 ". Dans les rues,
soudain vides, commence une traque aux Européens.
Alger, 4 juin 1958:De Gaulle fraîchement nommé président du Conseil d'une IVe République à
l'agonie.
"Je vous ai compris!"
L'Echo d'Alger; 14 octobre 1958: on abreuve encore le peuple de grand discours.
Sur le boulevard du
Front-de-Mer, on aperçoit plusieurs cadavres.
Vers le boulevard de l’Industrie, des coups de feu sont tirés sur des conducteurs, dont l’un, touché, s’affaisse
au volant tandis que la voiture s’écrase contre un mur. Une Européenne qui sort sur son balcon du boulevard Joseph-Andrieu est abattue. Vers 15 heures, l’intensité de la fusillade augmente
encore. A un croc de boucherie, près du cinéma Rex, on peut voir, pendue, une des victimes de ce massacre. Les Français, affolés, se réfugient où ils peuvent, dans les locaux de l’Echo d’Oran, ou
s’enfuient vers la base de Mers-el-Kébir, tenue par l’armée française.
« Aujourd'hui encore je suis accusé d'avoir empêché mes unités d'intervenir dans cette malheureuse affaire. Pas
plus qu'après le 5 juillet 1962, Paris n'a jamais fait une mise au point pour rétablir la vérité… Je m'attendais à ce que Pierre Messmer, ministre des Armées, apporte un démenti à ces accusations
dénuées de tout fondement. Il n'en fut rien…
J'ai trouvé la raison du silence du ministre des Armées et du gouvernement dans l'ouvrage d'Alain Peyrefitte :
C'était de Gaulle, où il rapporte ce qu'avait déclaré le Général25 avec une sombre détermination au conseil des ministres du 24 mai 1962 : “La France ne doit avoir aucune responsabilité dans le
maintien de l'ordre après l'autodétermination. Elle aura le devoir d'assister les autorités algériennes, mais ce sera de l'assistance technique. Si les gens s'entre-massacrent, ce sera l'affaire
des autorités algériennes26.”
Voilà pourquoi aucun démenti ne fut fait en juillet 1962 car il aurait mis en cause le Général et son
gouvernement. »
Pendant ce temps, le
général Katz (1907-2001), commandant de la place militaire d’Oran, déjeune à la base aérienne de La Sebia. Averti des
événements, il aurait, selon l’historien Claude Paillat, répondu à un officier : " Attendons 17 heures pour aviser. "
Les troupes françaises restent l’arme au pied, le ministère des armées leur ayant interdit de sortir de leur
cantonnement. Précisément, à 17 heures, la fusillade se calme. Dans les jours qui suivent, le FLN reprend la situation en main, procède à l’arrestation et à l’exécution d’émeutiers.
Le bilan du 5 juillet est lourd. Selon les chiffres donnés par le docteur Mostefa Naït, directeur du centre
hospitalier d’Oran, 95 personnes, dont 20 Européens, ont été tuées (13 ont été abattues à coups de couteau). On compte, en outre, 161 blessés. Les Européens racontent des scènes de tortures, de
pillages et surtout d’enlèvements. Le 8 mai 1963, le secrétaire d’Etat aux affaires algériennes déclare à l’Assemblée nationale qu’il y avait 3 080 personnes signalées comme enlevées ou
disparues, dont 18 ont été retrouvées, 868 libérées et 257 tuées (pour l’ensemble de l’Algérie, mais surtout en Oranie). On ne parlera plus, pendant longtemps, de ces " disparus ".
Ici s’arrête la présence française, dans ce " joyau d’Empire " qu’était l’Algérie française.
Le 12 juillet 1962, Ahmed Ben Bella pénètre dans Oran. Une autre bataille commence, celle pour le pouvoir en
Algérie. De l’autre côté de la Méditerranée les pieds-noirs n’ont plus qu’une pensée : faire revenir la " protectrice " d’Oran. Notre-Dame-de-Santa-Cruz recevra l’hospitalité dans l’humble église
de Courbessac, près de Nîmes.
Benjamin Stora
Oran, 5juillet 1962.L'avertissement écrit sur la banderole s'avèrera lourde de sens...
La version d'un Pied-Noir:
"Ni Mauriac, ni Sartre ne s'émurent, ni l'archevêque d'Alger... Aucune des hautes consciences qui font résonner le
monde de leurs sermons et tiennent toujours prêtes des pétitions couvertes de signatures, ne vit dans ces massacres la moindre atteinte à la dignité des hommes. Il reste des chiffres partiels,
mais qui, même tronqués, entrouvrent d'étranges meurtrières sur ce qui s'est passé en Algérie au cours du printemps et de l'été terribles de 1962".
La nuit tomba sur Oran.
Le couvre-feu le plus pesant de toute l'histoire de cette ville s'abattit sur les Oranais encore assommés par ce
qu'ils venaient de vivre. Les quartiers européens n'existaient plus, ils avaient été rayés de la carte. Oran la ville lumière, celle que l’on surnommait « l’Andalousie française », était
morte...
A la radio française, le speaker annonça d'une voix calme :
« Quelques incidents se sont produits à Oran » et le journal du jour avait reproduit une déclaration de Ben Khedda (1920-2003) qui, s'adressant aux Européens avait dit : « Nous appliquerons loyalement les accords d'Evian car
les Européens ont leur place ici ».
A cet instant, toutes les pensées étaient dirigées vers la ville arabe où étaient retenus des centaines -peut-être
des milliers- de Français. Une étrange lueur montait du village nègre en liesse. Quels sacrifices célébrait-on?
Au même moment, un grand gala avec la participation de nombreuses vedettes avait lieu sur la Côte d'Azur. Dans la
joie, au son des orchestres, on dansa tard dans la nuit... comme on avait dansé dans l'insouciance à la cour de Versailles le 10 février 1763, pendant que la France perdait le
Canada...
Le lendemain 6 Juillet, Oran se réveilla hébétée. Tous ceux qui avaient pu conserver la vie voulaient partir. Oui,
fuir… quitter cette ville au plus vite et cette odeur de sang. Courir sans se retourner, et que tout cela s’efface à jamais, Seigneur Dieu…
Ce brusque retour à la sauvagerie, ces crimes d'une cruauté inconnue qui, en quelques heures, achevèrent de vider
la cité, créèrent l'irréparable. Les Oranais se sentaient tellement menacés en ville qu'ils préféraient camper, entassés au port ou à la Sénia (aéroport), sous un soleil de plomb, dans des
conditions absolument inhumaines. De jeunes enfants, des vieillards en moururent. Les avions étaient inexistants, les transports maritimes en grève.
Cette ultime brimade sonnait le glas des Oranais. On leur refusait les moyens de sortir de leur enfer ; on leur
marchandait l'exode. Jamais! Jamais ils ne devraient oublier!...
Ce jour là, le journal « Le Monde » avait titré :
« LA CELEBRATION DE L’INDEPENDANCE DE L’ALGERIE »
Une fusillade éclate à
Oran au passage d’une manifestation de Musulmans. La responsabilité de ces incidents entre Européens et Algériens n'a pu être établie. Ce sera vite chose faite.
Tout comme les services officiels d'information, le général Katz laissa supposer que le massacre résultait d'une
provocation attribuée à l'OAS. Pourtant un Musulman, le préfet d'Oran, M. Laouari Souiah, officiellement désigné par l'exécutif provisoire ne rejettera nullement la responsabilité sur l'OAS qui,
faut-il le rappeler, n'existait plus à cette date. Il proclama à cet effet :
"Les événements de la veille sont le fait d’irresponsables qui seront sévèrement châtiés. »
"Rare photo d' Européens arrêtés et menés à l'abattoir.
Oran,5 juillet 62.
Regardez bien cette photo d'une rue d'Oran.
Un groupe d'une quinzaine d'hommes de tous âges et une seule femme. Ce groupe surveillé par un homme
armé d'une mitraillette, avance,manifestement contraint. Aucun ne parle. L'angoisse transpire de leur attitude, de leur pas mal assuré, de la position de leurs épaules, de leurs
regards...
La femme en robe d'été, environ 35 ans, belle, les traits fins,marche la tête droite, le regard
lointain. Elle serre les mâchoires, elle serre les lèvres, elle serre les poings.
On comprend qu'elle est consciente des traitements ignomineux qui l'attendent. Elle veut cacher sa
peur, elle veut garder sa dignité jusqu'au bout. Elle ne veut pas donner à ses bourreaux le plaisir de voir sa détresse, son angoisse,ses faiblesses. Elle veut rester digne, quoiqu'il arrive.
Voila ce que la photographie laisse supposer de cette femme.
Son attitude incarne le stoïcisme grec, la virtus romaine, la foi des premiers chrétiens. C'est une
statue du courage".
Paul G.; Marseille.
Cependant, beaucoup refusaient encore le départ, attendant
désespérément le retour d'un mari, d'un enfant, d'un frère disparus depuis la veille. Pour eux c'était l'attente inhumaine, sans nom. L'espoir était bien maigre, mais chacun s'y accrochait.
Peut-être l'armée se déciderait-elle "enfin!" à réagir et tenterait une opération de secours... une opération humanitaire pour sauver ces malheureux? Et dans toutes les administrations, aux
commissariats, aux gendarmeries, à l'état-major de l'armée française, à la mairie, à la préfecture, les déclarations de disparition s'accumulaient. Des scènes déchirantes avaient lieu ; des mères
terrassées par le chagrin et l'angoisse s'effondraient. En quelques heures, des milliers de noms furent enregistrées… mais le général Katz ne s'émut pas pour autant. Pire, au lieu d'ordonner une
perquisition générale dans la ville arabe, alors qu'il en avait militairement les moyens, il affirmait que ces disparitions étaient l'œuvre de personnes « ayant quitté Oran dans la journée du 5
Juillet ».
Ainsi donc, des pères, des mères, des enfants s'en seraient allés, séparément, au plus fort de l'émeute, sans
prévenir personne, abandonnant leurs familles? De qui se moquait le "boucher d'Oran" ?
Et pour justifier son ignominieuse conduite, il déclara haut et fort que le nombre des disparus était exagéré et
que l'OAS avait provoqué les incidents en tirant sur les Arabes...
Et pourtant, il était très facile pour l'armée française de sauver tous ces malheureux. Son effectif s’élevait,
pour la seule ville d’Oran, à 18000 hommes qui demeurèrent inertes face à ce massacre. Il est à noter cependant que sur le millier d’officiers présents, moins d’une dizaine (dont le lieutenant
Kheliff(1933-2003), d’origine algérienne) refusèrent d’obtempérer aux ordres indignes de la hiérarchie et se
portèrent, la plupart du temps avec un effectif réduit limité à une section, au secours d’Européens, leur évitant ainsi une mort atroce.
Par ailleurs, si les gendarmes mobiles -au lieu de se contenter d'investir les quartiers européens- avaient poussé
leur progression vers la Ville Nouvelle (quartiers arabes), ils auraient libéré en un rien de temps les centaines, voire les milliers de pauvres gens retenus captifs. Toutes les exécutions
n'avaient pas encore eu lieu et ce ne fut que les jours suivants, pour effacer toutes traces, que les victimes furent massacrées et dépecées quand elles ne furent pas acheminées dans des endroits
tenus secret pour y être réduites à l'esclavage et à la prostitution.
Eté 62: Tandis qu'en France, les yéyés font danser le twist à toute une jeunesse-née après 42;voici la
nouvelle Vague- parisienne et insouciante...
En Algérie,une vague de folie meurtrière s'abat sur les Européens et leurs alliés les plus valeureux et
les plus fidèles: les Harkis et leurs familles, lâchement abandonnés à une mort atroce par les autorités françaises qui feignent l'ignorance.
Les assassins utilisent des techniques ancestrales de tortures, resurgies du fond des âges les plus
barbares au son des you-you des femmes.
Dans les témoignages qui affluaient de toute part, les autorités militaires notaient qu'il était souvent question du "Petit Lac". Des exécutions en série
y avaient lieu.
Le « Petit Lac », était un endroit situé à la périphérie d'Oran, en plein quartier arabe. C'était une grande
étendue d'eau salée qui servait de dépotoir clandestin et aux abords duquel aucun Européen ne s'aventurait jamais depuis plus d'un an. Bientôt des camps furent dressés où furent parqués les
"disparus", survolés en cela par l'aviation française, ce qui ajoutait à la torture physique des malheureux, la torture morale qui était d'espérer et d'attendre l'intervention de l'armée
française.
Pourtant, ils y croyaient fermement car, comble d'ignominie, à proximité de leur univers concentrationnaire,
existait un camp militaire français dont la sonnerie du clairon leur parvenait distinctement matin et soir. Que d'horribles, que d'épouvantables hurlements ces militaires français ont-ils du
entendre des jours durant, eux qui étaient terrés derrière leurs remparts de barbelés, l'arme au pied, attendant la quille prochaine!...
Mais "la grandeur gaullienne" ne s'abaissa pas à donner les ordres nécessaires pour sauver ces sacrifiés et les
cadres de l'armée respectèrent les ordres reçus de ne pas intervenir, abandonnant ceux qui n'étaient plus que des morts en sursis, oubliant que, pour des raisons similaires, on condamna à la fin
de la seconde guerre mondiale, les officiers allemands qui ne s'étaient pas opposés aux ordres d’Hitler.
Ils sauvèrent ainsi leur carrière, certes! Plus tard, colonels et généraux, couverts de titres et de médailles
usurpés, ils se prélasseront et se féliciteront de leur "bon choix". Mais, où est leur honneur? Que devient une armée sans honneur?
Le samedi 7 Juillet, le journal Le Monde annonçait :
"Une trentaine de personnes tuées au cours des incidents de jeudi". Page 2, dans son développement, l'information
passait au conditionnel : « La fusillade d'Oran aurait fait plus de trente morts » et France-Soir, pour sa part, ne parlait que de « nombreux blessés » (!)...
Pourtant à trois reprises sur les ondes de la radio, M. Souiah, le Préfet d'Oran, avait déclaré :
« Nous ne pouvons tolérer de pareils actes criminels à un moment où il est demandé une mobilisation générale de
toutes les énergies saines ». Comme la veille, il rejeta la responsabilité de l'émeute sur des éléments provocateurs, mais à aucun moment il ne fit allusion à la défunte OAS.
La rancœur de Katz était sans bornes. Mais le préfet n'en resta pas là. Pour mieux se faire comprendre, il donna
l'ordre de désarmement aux éléments incontrôlés, annonçant des mesures très sévères à cet effet. Le coup de grâce était assené au "boucher d'Oran" qui, dit-on, faillit manger son képi.
Le préfet, lui, un chef de la rébellion venait de confirmer devant la presse internationale que les "éléments
incontrôlés" n'étaient pas le fait d'irréductibles de l'OAS... alors qu'il lui aurait été facile de le laisser croire à l'opinion. De plus, si la presse française, dans son ensemble (hormis le
journal L'Aurore), continuait de mentir sur les événements du 5 Juillet, les Arabes eux-mêmes, pris d'un certain sentiment de culpabilité -et peut-être de honte- se livrèrent à quelques
déclarations. C'est ainsi que dans « L'Echo d'Oran » du 9 Juillet, page 6, le Docteur Mustapha Naid, directeur du Centre Hospitalier d'Oran, parlait déjà de 101 morts européens et de 145 blessés,
sans compter les disparus. On était encore très loin du compte mais on y venait peu à peu...
Le mardi 10 Juillet sera un jour noir pour le « boucher d'Oran ».
Tous les journalistes présents furent conviés à une conférence de presse du capitaine Bakhti, le responsable de la
zone autonome d'Oran. Il s'agissait de faire la lumière sur les récents événements.
Vers dix huit heures, au lycée Ardaillon, le capitaine annonça que tout le monde allait être conduit en un lieu où
étaient détenus plus de deux cents bandits responsables des massacres. Cette nouvelle fit sensation. Katz pâlit, il était effectivement sur le point de croquer son képi. Toutefois un espoir
subsistait... Bakhti avait parlé de bandits sans indiquer leurs origines. Peut-être s'agissait-il de « désespérados » de l'OAS ?... Peut-être avait-il eu "l'idée" de puiser dans la masse des
"disparus" européens ces deux cents bandits que l'on aurait facilement fait passer pour des activistes?...
Quelques minutes plus tard, les journalistes prirent la direction de Pont-albin, un petit village situé à une
dizaine de kilomètres d'Oran où étaient installés les détachements de l'ALN. Là, le capitaine Bakhti leur présenta les deux cents meurtriers qui, expliqua t-il, composaient un gang d'assassins de
la pire espèce dans les faubourgs du Petit Lac, de Victor Hugo et de Lamur. Ce furent -aux dires de l'officier- eux qui provoquèrent le massacre.
A leur tête, se trouvait un assassin notoire -une bête sanguinaire- : Moueden, dit Attou, connu pour son caractère
particulièrement violent et sauvage et sa cruauté qui lui procurait une indicible jouissance.
Bakhti expliqua que lors de son arrestation, ce bandit tenta de résister et fut abattu. De plus, deux tonnes de
matériels de guerre, armes et fournitures diverses, furent récupérées ainsi que des quantités d'objets volés aux Européens le 5 Juillet et les jours précédents.
Ce fut là la version officielle reprise en toute bonne foi, sur le moment, aussi bien par les journalistes de la
presse internationale, que, plus tard, par d'éminentes personnalités telles que Claude Martin, Marcel Bellier, Michel Pittard qui relatèrent cette tragédie. En outre, cette version officielle fut
confirmée -trente ans après- par le général Katz, en personne, dans son recueil d'ignominies et d’infamies : « L'honneur d'un général ».
Pourtant, un premier coup de théâtre sema le trouble parmi ceux qui avaient travaillé sur le sujet.
Le 6 Juillet 1972, le journal « RIVAROL » révélait sous la plume du Docteur Jaques Couniot, que « le dit, Attou,
se portait comme un charme et qu'il était même (ça ne s'inventerait pas) employé aux Abattoirs municipaux d'Oran », ajoutant même à l'adresse d'Attou :
« Un homme, vous le voyez, dont la vocation est indéracinable »...
Les choses en seraient
restées là s'il n'y avait pas eu, en 2002, la parution d'un ouvrage remarquable intitulé "Fors l'Honneur", qui contait la guérilla OAS à Oran en 1961/62 et dont l'auteur n'était autre que Claude
Micheletti, responsable du Renseignement au sein de l'Organisation oranaise.
Second coup de théâtre : P. 215, nous apprenions avec stupéfaction que le sinistre Attou ne pouvait être, le 5
juillet, à la tête des tueurs dès lors qu'il avait été abattu quelques semaines plus tôt par un commando de l'OAS. Faisant preuve d'un scepticisme bien légitime après 40 ans de désinformation, je
m’en ouvrais directement à l'auteur qui, avec compréhension, m’apporta les éléments qu'il était le seul à détenir.
De plus, à l'appui de ses explications verbales, il me fit parvenir, pour exploitation, une liasse de documents
originaux « top secrets », émanant de sources officielles de l'époque, notamment du FLN/ALN et de la gendarmerie "blanche".
Concernant le triste sire Attou, sa férocité était telle qu’il répandait la terreur au sein même de sa bande de
tueurs…
Pour un mot, un geste, un rien, il torturait à mort ses propres coreligionnaires, femmes et enfants inclus,
trouvant dans les délices des sévices une jouissance indicible...
L'écho de ces excès ne manqua pas de parvenir aux sphères dirigeantes de la rébellion qui, à maintes reprises,
"avertirent" Attou de réfréner sa frénésie hystérique sur la population musulmane. Rien n'y fit! Le sang l’enivrait et le meurtre, chez lui, était profondément enraciné.
Les recommandations
-voire, les réprimandes- adressées par la hiérarchie n'ayant aucun effet sur ce tortionnaire, en "désespoir de cause", le FLN décida de "lâcher" Attou en le livrant à la gendarmerie "blanche"
française. Cependant, convaincue que ce dernier serait aussitôt libéré s'il était présenté à un juge ; las de rédiger des P.V mortuaires où les sévices du dénommé Attou gagnaient chaque jour en
raffinements et ulcérée de constater les connivences dont profitaient les égorgeurs patentés, la gendarmerie informa, le 24 Avril 1962, le 2ème Bureau de l'OAS (Renseignements) dirigé par Claude
Micheletti et lui livra l'intéressé. De ce jour, Mouedenne Attou, né le 17 Août 1921 à Thiersville, C.I n FU68038, n'eut jamais plus l'occasion d'exercer ses cruautés...
Par ailleurs, de Pont-Albin où avait été organisée la mascarade, aucun journaliste ne fut convié à se rendre en
Ville Nouvelle et au Petit Lac, là précisément où les survivants étaient regroupés avant d'être exterminés...
Ainsi, malgré le grotesque de cette mise en scène qui consista à faire endosser à un mort la responsabilité
exclusive du génocide du 5 juillet, avalisée en cela par un général Français, il fut officiellement confirmé qu'aucun Européen ne fut à l'origine de l'émeute sanglante.
Un journaliste demanda au capitaine Bakhti pourquoi le gouvernement français tenait-il tellement à faire rejeter
la responsabilité du massacre sur des éléments de l'OAS qui n'existait pourtant plus. L'officier répondit dans un sourire amusé que le gouvernement et ceux qui le servaient –sous entendu, le
général Katz- détenaient, seuls, la responsabilité de leurs propos... ce qui fit dire tout haut à un journaliste Pied-Noir, à rencontre de ses confrères :
« Si le 26 Mars, pour la fusillade de la rue d'Isly, vous êtes arrivés à faire croire que c'était l'OAS qui avait
ouvert le feu sur la foule... cette fois-ci, c'est râpé »
D'après certaines "mauvaises langues" de l'entourage de Katz, il paraîtrait que le valeureux général n'en dormit
point de la nuit...
Le 11 août 1962, l'Echo d'Oran informait ses lecteurs que la décharge du "Petit Lac" allait disparaître :
"Le gouvernement algérien a commencé son œuvre de salubrité. Cela représente quinze hectares d'immondices de cinq
mètres de haut. L'odeur qui s'en échappait était devenu insoutenable."
Bien qu’une partie du « Petit Lac » subsiste encore aujourd’hui, ainsi seront murés définitivement les tombes des
torturés, des lynchés, des égorgés du Village Nègre du 5 juillet et la trace de cet odieux holocauste à tout jamais effacée.
Les victimes de cette
journée meurtrière avaient été évaluées officiellement à trois mille personnes, disparus inclus, et quand on sait avec quelle parcimonie le gouvernement diffusait ses informations, on tremble à
l'idée de ce que pourrait être le véritable bilan de ce génocide. On ne connaîtra jamais le nombre exact des morts, des blessés et des disparus ; la France ne le dira probablement pas... en
admettant qu’elle ne le connaisse jamais.
Ces morts, les Français ne les ont guère pleurés. Il est vrai qu'ils ne surent pas grand chose de leur fin tant
les organes d'information, et les responsables politiques, heureux d’avoir retrouvé "enfin" la paix, se gardèrent bien d'assombrir les multiples réjouissances. Après tout, il ne s'agissait là que
de victimes Pieds-Noirs, de colonialistes et de sueurs de burnous. On leur avait tant répété durant sept ans que la guerre d'Algérie n'était rien d'autre que la révolte des pauvres indigènes
opprimés contre les "gros colons", qu'ils ne pouvaient éprouver la moindre compassion à l'égard de ce million de nantis européens. Ils méritaient leur sort, voilà tout!... Et la France, Patrie
des droits de l'homme, ferma les yeux et tourna la page.
José CASTANO
Le visage de l'Algérie algérienne: corruption, chômage, islamisme, pénuries, suicides...
...et s'installera finalement en France...